Julien le Grave & Christian l’Espiègle

Charles Juliet et Christian Bobin sont sans aucun doute les poètes qui m’ont le plus marqué lors de mes lectures. Entre ces deux personnalités importantes de la littérature française, j’y ai trouvé un certain équilibre, entre insouciance et gravité, profondeur et légèreté, rigueur et espièglerie. Pour moi, l’un ne va pas sans l’autre, et je les lis souvent ensemble.

Je poursuis donc la lecture du Journal de Charles Juliet avec le 4eme tome nommé Accueils, qui va de 1982 à 1988. Publié chez P.O.L en 2011, ce Journal IV nous permet d’explorer l’intériorité d’un être tiraillé entre ombre et lumière. Sa lumière vient des rencontres avec des personnes de tout horizon, mais qui ont la particularité d’être éveillées à elles-mêmes, au prix souvent d’un long cheminement spirituel. Son ombre vient de son passé, ravagé par la peur et la solitude. Et cette dualité aboutit à l’écriture. Une écriture de soi qui parle à tous. S’immerger dans ce Journal est une expérience spirituelle forte et éblouissante, qui atomise toute la bibliographie de Matthieu Ricard & consorts…

Charles Juliet éprouve une terrible compassion pour les âmes brisées, ce qui rend la lecture de son journal parfois difficile. Car loin d’être un journal nombriliste, l’auteur nous parle de toute cette humanité qui se déchire, se brise et parfois se répare et s’élève au firmament de son être. Quantité d’ouvrages et d’œuvres sont également évoqués avec passion, et on ne peut que prendre avidement des notes en espérant les découvrir à notre tour. La profondeur des propos tenue dans Accueils est étourdissante, d’autant plus qu’elle s’ancre dans un quotidien que nous connaissons toutes et tous.

Et puis quel plaisir inouï de découvrir soudain à la note datée du 16 août 1986 sa rencontre avec Christian Bobin. « Au sens plein du terme, il est un poète. Il absorbe les choses et la vie avec fraîcheur, sensibilité, et ce qu’il ressent, il est à même de le traduire spontanément dans une langue simple, directe, chargée d’une émotion vraie. » Et ainsi passent les années, entre souvenirs, évocations, questionnements et rencontres. Accueils est une plongée en apnée dans l’esprit d’un écrivain, qui fait face au monde et à lui-même avec modestie, persévérance et clairvoyance.

Je n’avais jamais entendu parler de La folle allure, de Christian Bobin, un livre publié en 1995 aux éditions Gallimard. Et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que ce titre est un roman, un genre littéraire que je ne connaissais pas chez cet écrivain très cher à mon cœur. C’est d’ailleurs le premier livre que je lis depuis sa mort survenue le 23 novembre 2022. Et ce roman m’a emporté. Littéralement. Par sa folie, sa générosité et sa grandeur. La folle allure est le récit à la première personne d’une petite fille qui vit dans un cirque. Sa liberté est totale et nous ouvre grand les yeux. Voilà, lire Bobin, c’est ouvrir les yeux. Certains vont dans des offices religieux pour se purifier, d’autres au supermarché ou au bar pour se ressourcer, moi je lis Bobin !

La folle allure est le parcours d’une vie racontée par celle qui la vit. Et Christian Bobin, homme poète au cœur d’enfant, sait mieux que quiconque dire et écrire les mots d’un esprit qui mord la vie à pleines dents, sans se soucier aucunement du regard des autres et des conventions sociales. C’est un roman débordant d’amour, d’humour et de tendresse. Ça fuse dans tous les sens, c’est de la poésie qui galope, on grimpe dessus et, comme un enfant sur un manège, on ne veut surtout pas que ça s’arrête.

« Je viens de comprendre quelque chose, une chose capitale, une révélation si on veut. Je viens de comprendre que personne, jamais, ne me contraindra en rien. Personne. Jamais. En rien. » Travail, famille, mariage, mine de rien, La folle allure dynamite avec gourmandise tout ce qui fait la base d’un individu parfaitement intégré dans la société. C’est vraiment aussi étonnant que jubilatoire de lire le style de Bobin sous la forme d’un roman, cela lui va comme un gant ! Finalement, je suis bien content de ne pas dévorer toute l’œuvre d’un auteur que j’adore, je rentre dans sa bibliographie comme dans une pâtisserie et j’en ressors toujours conquis !

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