This is Halloween !

Ah Halloween… Je rêvais tellement de faire cette fête lorsque j’étais enfant ! Même si j’étais assez peureux, j’avais un goût certain pour le fantastique et l’horreur. Je me souviens de la colère de mon père quand il découvrit dans la cuisine son fils avec un couteau ensanglanté qui lui traversait la tête, en réalité un serre-tête acheté avec le fameux magazine Pif Gadget, que je collectionnais avec avidité. Je découpais dans les magazines TV toutes les photos et affiches qui étaient liées au cinéma fantastique et je les collais dans un cahier dont je relisais chaque page en frissonnant de plaisir. Je poussais le vice jusqu’à acheter un magazine d’horreur en demandant à un copain de tourner les pages et de me dire s’il n’y avait pas de photos trop horribles. Évidemment, Ghislain se faisait un plaisir de me montrer les images les plus gores, tout en rigolant en voyant ma tête épouvantée !

C’est en visionnant E.T au cinéma que je découvris la fête d’Halloween. Quelle joie et quelle surprise de constater que tout un pays jouait le jeu du Fantastique durant toute une journée, je n’en revenais pas, il me fallait absolument vivre là-bas ! C’est beaucoup plus tard que cette fête s’installa timidement en France, rejetée en masse par les médias et les adultes offusqués d’être ainsi envahis par une tradition américaine. Ce discours qu’on entend encore aujourd’hui traduit bien le conservatisme culturel de notre pays qui a toujours eu un problème avec la culture de l’imaginaire. Il n’y a qu’à voir le traitement médiatique de tous les artistes français qui œuvrent dans ce domaine, et je ne parle même pas de toutes ces paroles médisantes entendues dans des professions (critiques, instituteurs, bibliothécaires…) qui devraient plutôt célébrer l’éclectisme culturel. Eh oui, les bougons, on peut aimer le gore américain et Proust !

Bref, je suis très content en tout cas que cette fête puisse être célébrée en France et je profite de cette période pour vous présenter quelques œuvres sombres… Débutons avec Le retour de l’ogre écrit par Jean Leroy et illustré par Matthieu Maudet (Ecole des Loisirs,2016). Ce petit livre fait suite au très réussi Le Panier et La sorcière, sa fille et le loup (que je n’ai pas encore lu), mais on peut le lire sans problème si on ne connait pas les précédentes histoires de la sorcière. Le travail de composition entre le texte et l’image est remarquable, les noirs profonds de Matthieu Maudet apportent une poésie supplémentaire à ce conte qu’on peut lire aux enfants dès 6 ans. Caralouva, coincée entre les espoirs funestes de ses parents, le loup et la sorcière, s’échappe et découvre un drôle de personnage, Enguerrand, coincé dans un trou au beau milieu de la forêt. Ami ou ennemi ? La petite fille aura-t-elle raison d’aider cet inconnu ? Le Retour de l’Ogre s’inscrit dans un classicisme de bon aloi et nous enchante sans faire peur aux enfants.

Continuons notre sombre voyage au sein de la littérature jeunesse avec Mary, auteure de Frankenstein, un album écrit par Linda Bailey et illustré par Julia Sardà (Les éditions de la Pastèque, 2019). J’avais déjà eu le plaisir de découvrir le talent singulier de cette illustratrice avec l’excellent Le Talisman du Loup, c’est donc avec joie que je me plongeais dans la lecture de cet album, d’autant plus que le roman Frankenstein de Mary Shelley fait partie de mes favoris à emporter sur une île déserte ! Mary, auteure de Frankenstein raconte la genèse du roman, mais en s’intéressant plutôt à l’intériorité de l’auteure, en visualisant son bel imaginaire sombre et poétique. Cet album est un bijou gothique, une esquisse biographique qui se déploie dans une esthétique littéraire et fantastique qui nous entraîne aux sources de la création d’une œuvre fondatrice et intemporelle. Une note très intéressante de Linda Bailey vient compléter ce récit envoûtant à lire à partir de 9 ans.

Quittons les rivages de la jeunesse pour nous enfoncer dans l’horreur japonaise avec un recueil du mangaka Junji Ito, La Fille Perverse (paru dans une belle édition de Tonkam en 2011). 7 nouvelles effrayantes qui démontrent l’immense talent de ce maître de l’horreur moderne. La Fille Perverse, qui ouvre le bal, est peut-être la plus difficile à lire car elle traite de la maltraitance enfantine. Qu’est-ce qui pousse un enfant à faire du mal à un autre enfant ? Junji Ito n’a aucunement la prétention de répondre à cette question, mais il montre le cheminement du mal dans un esprit qui sombrera dans la démence. La dernière page broie le cœur. Heureusement, l’auteur n’est jamais dans un voyeurisme crade et couvre son récit d’une pudeur graphique sans en atténuer toute la violence physique et psychologique.

La maison au déserteur est un récit plus classique mais qui fonctionne très bien. Mais c’est avec Le Cœur d’un père que l’auteur frappe un grand coup. On ne révélera rien de l’intrigue mais Junji Ito tire à boulet rouge sur l’autoritarisme paternel. Figurant la sagesse, la morale et la discipline, la figure du père cache en réalité un terrifiant abus de pouvoir qu’on peut trouver encore trop souvent dans notre société. Voir un adulte frapper un enfant pour lui « apprendre » les bonnes manières et l’éduquer ne démontre rien de moins qu’une terrifiante domination d’un corps sur un autre, plus faible physiquement qui plus est. Junji Ito s’empare de cette figure structurante de la société japonaise et choisit la voie du grotesque et du fantastique pour la dénoncer avec force et effroi.

Souvenirs traite de l’apparence physique et de ses répercutions sur le psychisme, un sujet plus que d’actualité, à l’ère du selfie ! Un récit mineur, mais très agréable à lire. Au fond de la ruelle est beaucoup plus inquiétant et sa chute (ah ah !) est vraiment glaçante. Scénario amoureux nous narre les affres sanglants d’une relation amoureuse pas évidente, un récit sympathique mais un peu convenu. Enfin, En Terre conclue ce recueil avec des retrouvailles d’étudiants qui vont avoir une petite surprise à la fin de ce récit classique.

Concluons ce voyage vers l’horreur avec un livre aussi somptueux que perturbant, l’Artbook de Junji Ito publié en 2023 par une maison d’édition française, Mangetsu, qui brille aussi bien par le soin apporté à sa ligne éditoriale que par la qualité esthétique de ses ouvrages. Grand format, couverture magnifique, papier de qualité, tout est fait pour que le lecteur passe un grand moment de lecture en se délectant des visions horrifiques de Junji Ito, peuplées de fantômes, de morts, d’aberrations surnaturelles, de corps déformés par la terreur, bref c’est le grand bal de l’horreur auquel vous êtes conviés !

Découvrir les illustrations de cet auteur dans ce luxueux format est un choc, on est saisi par son art indéfinissable, où le Fantastique fracasse la réalité qui se déforme inexorablement sous le crayon sensible du mangaka, qui n’oublie jamais l’humanité de ses personnages, accentuant de fait le vertige de ces situations épouvantables. On se promène ainsi dans toute l’œuvre morbide avant de conclure ce voyage avec des reproductions de planches de mangas qui rendent compte de la finesse et de la minutie du trait de Junji Ito. Un entretien avec le maître achève de faire de ce beau livre un indispensable pour tout fan d’horreur qui se respecte !

Je conclurais cet article avec une brève recommandation musicale. Pour accompagner cet automne, je reviens vers l’album d’un artiste français dont j’ai déjà eu l’occasion de parler, Erang. Sorti le 1er janvier 2023, A Blaze in Time est un formidable voyage vers l’imaginaire et l’introspection, qui brasse le Temps et l’Espace, où l’on retrouve aussi bien des réminiscences de Stephen King, de la Fantasy ou de David Lynch. Cette musique électronique sombre,variée et mélancolique n’est certes pas faite pour passer sur RTL2, et c’est tant mieux ! Car nous avons affaire là à une musique 100% intègre mais généreuse, intimiste mais qui parlera à nombre d’entre nous, qui avons grandi avec toutes ces références, qui nous ont nourri, qui nous font voyager et nous permettent d’imaginer un ailleurs plus grand, plus beau, plus…fantastique !!!