Le goût sucré des pastèques volées, Sheng Keyi

Après une séance de cinéma, j’ai eu l’occasion de flâner dans les rues de Lons-le-Saunier et plus particulièrement à la librairie La Boîte de Pandore. Un très joli lieu, où la sélection des livres proposés laisse entrevoir les goûts sûrs et originaux des deux libraires qui ont repris récemment ce commerce. En me laissant porter par ma curiosité, je suis tombé sur une jolie couverture et un titre qui m’a immédiatement conquis, Le goût sucré des pastèques volées. Un coup d’œil à l’intérieur m’annonce le combo ultime à mes yeux : journal intime + illustrations + Asie. Ni une ni deux j’achète ce petit livre (173 p.) paru en 2021 aux Editions Piquier et en 2023 dans cette édition de poche.

Je ne reviendrais pas sur l’excellent travail des éditions Piquier mais force est de reconnaître que la qualité est toujours au rendez-vous ! Sheng Keyi est une romancière chinoise née en 1973 et qui a grandi à la campagne, dans un milieu défavorisé. Le goût sucré des pastèques volées est ainsi un recueil de notes brèves sur ses souvenirs de jeunesse. L’auteure jongle ainsi avec la dureté de sa vie passée et la mollesse de nos vies actuelles. L’écriture de Sheng Keyi est étonnante, à la fois vive, forte, poétique et éminemment nostalgique. Cette plongée dans les activités quotidiennes d’une famille vivant dans un village est immersive au possible, chaque vignette se lisant comme une pièce d’un immense puzzle rural d’antan qui se déploie petit à petit sous nos yeux.

Très loin de verser dans une esthétisation asiatique propre à ravir le public bien éduqué d’Occident, Sheng Keyi nous montre dans le détail l’immense cruauté de la vie campagnarde, notamment auprès des animaux, victimes d’une pollution infernale ou du passe-temps des enfants. Le goût sucré des pastèques volées est un petit miracle intimiste qui parlera à tout un chacun car l’enfance est universelle. Ennui, obligations, jeux, bêtises, école, tout y passe, et durant cette lecture, on ne peut que se remémorer et comparer notre propre enfance. Outre cette évocation de souvenirs propre à l’auteure, une réflexion nous est proposée en creux sur la condition féminine et le contexte politique en Chine. Sur ce point, le livre nous présente une vision catastrophique de l’état écologique des campagnes chinoises, ravagées par une industrie sauvage et bornée, qui ne connaît aucune limite, surtout pas celle d’un Etat complice !

De plus, ce recueil est parsemé d’estampes dessinées par l’écrivaine qui témoignent visuellement d’une émouvante et fragile vision de l’enfance. Cet accompagnement visuel permet de nous immerger plus encore dans ces souvenirs lointains. Il y a énormément à penser dans l’écriture de Sheng Keyi, qui n’hésite pas à critiquer vertement nos modes de vie actuels calqués sur l’activité urbaine. Sa vision de la vie est un combat désenchanté, celui de la contemplation solitaire et de la découverte libre et non standardisée.

Il y a des livres comme ça, qui nous touchent en plein cœur, sans prévenir, alors qu’on ne soupçonnait même pas leur existence. Et lorsque la toute dernière note, d’une immense tristesse, nous éclaire sur un détail récurrent des dessins qui illustre Le goût sucré des pastèques volées, notre cœur vole en éclats. On se promet alors de lire d’autre livres de Sheng Keyi, d’autres livres des éditions Piquier, et d’autres beaux livres tout simplement.

2 commentaires sur “Le goût sucré des pastèques volées, Sheng Keyi

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    1. Oui tout à fait, je vous invite vraiment à en faire la découverte. C’est le genre de livre qu’on pioche ensuite au hasard dans sa bibliothèque pour en lire quelques lignes et se laisser porter par cette rugueuse nostalgie poétique.

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